Les personnes qui ont assisté à des séances de cinématographes ont été frappées du scintillement des vues, scintillement beaucoup plus en évidence dans les vues claires que dans celles représentant des fonds sobres, des intérieurs. Ce tremblement résulte de l’interruption continuelle de l’émission lumineuse qui sépare chaque vue, et qui est nécessaire du reste, puisqu’elle est due à l’obturateur qui permet de détruire sur la rétine l’impression lumineuse reçue ; sans cela, les vues se confondraient et l’oeil ne verrait que du noir et du blanc : aucune image ne serait perceptible. Ce défaut des cinématographes avait été considérablement atténué par les constructeurs, et en particulier par les frères Lumière.
Toutefois, quand on obtient le bien, on peut faire le mieux. Un photographe, M. Chéri-Rousseau, et M. Mortier viennent d’imaginer de faire passer les pellicules portant les images photographiques sur un autre dispositif, et ils on t ainsi détruit le papillotement des précédents appareils.
Le nouveau cinématographe a été baptisé par ses inventeurs Aléthorama, mot composé de deux mots greds signifiant “véritable vue” (aléthôs, véritable ; orama, vue).
Dans le cinématographe, la pellicule a un mouvement saccadé ; elle s’arrête au moment de la projection et descend dès que l’obturateur intercepte l’ouverture ; dans l’Aléthorama, la pellicule est animée d’un mouvement continu, au lieu d’avoir sur l’écran une trépidation qui fait paraître dansantes les images, surtout pour les appareils défectueux ; les images se succèdent les unes aux autres en se fondant, en se complétant, l’éclairage de l’écran restant constant.
Voici le principe de l’appareil :
Un tambour métallique monté solidement sur un axe est mis en rotation rapide par un moyen quelconque, manivelle ou transmission ; il entraîne avec lui une pellicule de vues cinématographiques enroulée sur la bobine supérieure placée dans un cadre métallique à l’arrière du tambour.
La pellicule défile devant une fenêtre brillament éclairée et va ensuite s’enrouler sur une seconde bobine placée au-dessous de la première. L’enchaînement se fait très régulièrement grâce à des dents placées sur la circonférence du tambour et entrant dans des trous équidistants percés sur la pellicule.
La circonférence de la partie du tambour sur laquelle porte la pellicule n’est pas pleine, mais ajourée ; elle est divisée en petits fenestrons, dont la grandeur est égale à la dimension des images photographiques. Le dessous de la circonférence est incliné et porte une série de petits miroirs en nombre égal à celui des fenestrons et inclinés à 90°. En face se trouve une autre série de miroirs disposés de la même façon. En face de la fenêtre F vient tomber un faisceau intense de lumière qui traverse la pellicule et fait réfléchir l’image sur les miroirs M’, qui renvoient l’image sur les miroirs M ; sur le dernier miroir l’image est, par réflextion, envoyée sur l’objectif O’, les rayons lumineux viennent tomber sur le miroir G, qui les réfléchit enfin sur l’objectif O, qu’ils traversent pour aller sur l’écran former l’image cinématographique.
La combinaison des différents phénomènes qui se passent est assez délicate à exposer.
L’axe de symétrie des images coïncide rigoureusement avec l’axe de rotation du système ; il en résulte que pendant que la vue photographique est entraînée rapidement par suite de la rotation du tambour, son image est théoriquement immobile sur l’axe ; mais réellement il n’y a que l’axe de symétrie qui est immobile ; les autres parties subissent un mouvement général, mais très faible et qui est à peine perceptible.
Comment se présentent les images sur l’écran ? Elle se fondent au lieu de se succéder. Le diaphragme qui limite l’admission du faisceau lumineux est fait de façon à n’éclairer que les vues.
Lorsqu’une image est placée juste en face du faisceau, elle se réfléchit entièrement ; lorsque, au contraire, deux vues sont à cheval devant l’éclairage, on aura sur l’axe deux images superposées, et la moitié de chacune, déviée d’un angle très léger, ne sera pas transmise à travers les objectifs ; on aura donc sur l’écran une partie de chaque image se complétant et constituant ainsi un image unique du sujet. Comme on peut en juger par les quelques lignes qui précèdent, on obtient ainsi sur l’écran les images par complément, au lieu de les avoir par substitution.
Cette méthode supprime le scintillement et permet de donner une moins grande vitesse au défilé des images.
En faisant une modification à l’Aléthorama, on peut s’en servir pour prendre des images photographiques ordinaires et, alors que pour le cinématographe on prend quinze à vingt épreuves à la seconde, on pourra, avec ce nouvel appareil, atteindre, d’après les auteurs, deux mille épreuve dans le même temps.
Au point de vue des projections, elle n’a qu’une importance secondaire, puisque l’on sait que dix images à la seconde suffisent pour donner l’illusion du mouvement ; il n’en est pas mois important de signaler ce fait, qui peut rendre les plus grands services aux sciences naturelles et mécaniques pour l’enregistrement des mouvements rapides qui échappent à nos sens.
- Georges Brunel, Les merveilles de l'électricité et de la photographie, 1899